Manager d’équipe, entre le marteau et l’enclume…

La fonction de manager d’équipe est la cible de nombreuses attentes, tant au niveau de la hiérarchie que des collaborateurs. C’est vers le manager que convergent leurs sollicitations, en un chassé-croisé permanent. Il porte en cela une lourde responsabilité, celle d’agir sur l’opérationnalité directement liée aux résultats de l’entreprise. Mais comment parvient-il à gérer cette situation « d’entre-deux », d’interface entre son équipe et la direction de l’entreprise ? Comment maintient-il un équilibre ? Comment peut-il être entre deux ‘camps’, tout en appartenant généralement clairement à l’un d’entre eux, celui de la direction ? Quelles sont dans ce contexte ses possibilités d’expression réelle ? Ceci nous amène à nous interroger sur cette forme d’organisation. Faut-il nécessairement des ‘camps’ dans l’entreprise et à quoi servent-ils ? Peut-on sortir au moins partiellement de cette logique et quels changements en attendre dans une approche plus coopérative du travail ?

Management d’équipes ou la recherche de l’équilibre

L’encadrement, une logique de carrière ?

Marc a quarante ans et a pris récemment une fonction de manager de proximité au sein de son entreprise. Entré dix ans auparavant en tant qu’employé, il commençait à sentir la routine s’installer. L’appel vers une fonction d’encadrement se faisait de plus en plus pressant en lui. Comme cela se fait classiquement dans les déroulements de carrière, le chemin de la promotion interne lui a semblé logique. Il pourrait s’appuyer sur sa parfaite connaissance des rouages de son univers de travail. Et cette fonction lui permet en plus de ne pas trop s’éloigner du terrain qu’il apprécie beaucoup. Il a cependant changé de succursale pour ne pas devenir hiérarchique direct de ses collègues autrefois pairs.

A sa prise de poste, Marc se sent très proche de ses nouveaux collaborateurs. Il ne les connait pas mais il connait leur travail si bien qu’il peut les remplacer aisément. Au début, cela lui arrive d’ailleurs régulièrement, lorsqu’un employé est absent. Il rend service à tous et peut ainsi montrer son désir de proximité à ses employés. Peut-être parce qu’il ne se sent pas tout à fait à l’aise dans ce nouveau rapport avec ses collègues. Il gagnera ainsi des points de sympathie auprès d’eux. Ce n’est pas forcément stratégique de sa part, il est aussi humain et a besoin de cordialité.

C’est une solution facile aussi. Il n’a pas besoin de solliciter un remplaçant et de risquer de se confronter à un mécontentement, voire à un refus. Il connait intimement les difficultés et frustrations que génèrent les changements inattendus car il les a vécus lui-même bien souvent. On doit ensuite se débrouiller seul pour se réorganiser car l’activité prévue ne disparait pas. Et on n’a pas toujours envie de remplacer certains collègues qui ne jouent pas le jeu de la solidarité. Comme il connait bien son métier, il saura s’adapter et dénouer les situations rencontrées dans cette prise temporaire d’activité. C’est donc aussi une solution rapide, immédiate, prise dans un souci d’efficacité et de performance.

Équipe versus direction

Seulement voilà : en remplaçant un collaborateur sur une activité ‘productive’, il n’est a priori pas dans sa fonction managériale. Ce n’est pas ce qu’on attend de lui. Son hiérarchique ne dira rien parce qu’ainsi le déroulement fluide de l’activité est sécurisé. Mais il ne faut pas que cela devienne une habitude. Sinon Marc ne pourra pas assurer les taches inhérentes à sa fonction. Elles sont nombreuses et exigeantes, bien qu’elles ne soient pas vraiment connues de ses collaborateurs qui ne s’y intéressent d’ailleurs pas.

C’est donc à présent son activité managériale qui est bousculée et cela le met en difficulté. En ouvrant cette voie, un autre problème le guette. A la prochaine absence, comment pourra-t-il expliquer à ses collaborateurs qu’il n’assure pas cette fois le remplacement ? C’est pourtant plus facile pour lui qui a un planning ‘libre’, ils ne comprendront pas. Marc aura peut-être le sentiment de les ‘lâcher’. Il se trouve alors piégé entre son envie de ‘prêter main forte’ et sa posture de manager. Marc se heurte au réel de cette posture d’interface entre équipe et direction, posture d’équilibre mais qui est loin d’être neutre. Il doit apprendre à rester à l’extérieur des activités productives proprement dites. Sa nouvelle fonction lui demande de déléguer, répartir, superviser, faciliter la mise en œuvre du travail.

Interface entre équipe et direction, le choix du ‘camp’

Quelques jours plus tard, lors de sa première réunion d’équipe, ses collaborateurs se plaignent d’un surcroît de travail. Marc le sait bien puisqu’il n’y a pas si longtemps, il y était lui-même régulièrement confronté. Fort de sa nouvelle fonction, Il évoque ce problème en réunion de direction. Cela fait aussi partie de son rôle qui est de faire remonter les difficultés opérationnelles auprès de la hiérarchie.

Mais les membres de l’équipe managériale ne semblent pas ouverts à cette attitude compréhensive. Ils serrent les rangs et prennent le contrepied immédiatement. Quel collaborateur s’est plaint de cela ? Le travail se ferait mieux s’ils passaient moins de temps à discuter ! Il s’agit d’un problème d’organisation, et c’est au manager de le piloter, etc. Marc est déstabilisé. Il a pris un risque sans s‘en rendre compte et perçoit la menace. Une pression est perceptible dans l’air de la salle de réunion, comme une tension, une hostilité proche de l’exclusion. Il ressent très clairement qu’on lui demande, sans même un mot prononcé, de choisir son camp. De quel côté est-il ? De celui des subordonnés ou de celui de son équipe de direction ?

Marc éprouve très fortement ce sentiment de tiraillement, mêlé à de la culpabilité. Il éprouve secrètement le sentiment de trahir, à la fois ses anciens pairs qu’il comprend si bien, et l’équipe de direction à laquelle il appartient maintenant. Elle exige de lui, maintenant qu’elle l’a adoubé, une forme de loyauté, marquée par son ralliement plein et entier à la ligne managériale de l’entreprise.

De l’approche productive à l’approche gestionnaire

Le manager d’équipe de notre exemple sera peut-être amené à terme à abandonner l’activité purement productive pour endosser pleinement sa fonction d’encadrant. Mais au moins lui restera t-il une connaissance du travail qui est une réelle richesse pour sa fonction. Il est en effet fréquent que le manager soit complètement coupé de la production. Sa fonction se développe alors essentiellement autour des questions liées aux ressources humaines et du pilotage. Il doit mobiliser les collaborateurs vers l’atteinte des objectifs. Son rôle est entièrement axé vers le pilotage d’indicateurs, la supervision de l’équipe et l’évaluation de compétences.

Dans ce cas, le manager est issu le plus souvent d’un recrutement externe, avec un diplôme en management. Son profil est celui d’un gestionnaire. Il ne connait pas le travail de ses collaborateurs, ou alors théoriquement. Il a pu s’en faire une idée sur la base des explications, des fiches de postes ou des quelques observations du travail à son arrivée dans l’entreprise.

La question du positionnement est grandement simplifiée pour un tel manager. Il prend sa place plus aisément au sein de l’équipe de direction. Par contre, il sera moins pertinent dans sa compréhension du travail et des difficultés rencontrées. En cela, il sera un moins bon relais d’informations auprès de la hiérarchie. Il s’immergera aisément dans l’esprit de son équipe de direction, et portera avec aisance les directives auprès des collaborateurs. Mais en étant moins proche de ses collaborateurs, il aura sans doute aussi moins de crédibilité auprès d’eux. Il sera aussi sans doute moins pertinent sur l’évaluation réelle du travail, qui est un fort enjeu dans l’entreprise. Ces éléments sont importants à réfléchir lorsque l’entreprise envisage un mode de management plus coopératif. La fonction d’interface entre équipe et direction nécessite alors d’être repensée entièrement.

L’équipe de direction, un lieu refuge ?

Il n’y a pas que la recherche de performance qui intervienne dans la constitution de l’équipe de direction. Il y a aussi le besoin simplement humain de se retrouver entre pairs. Les managers d’équipes sont souvent très isolés dans leur fonction. L’éloignement du travail productif qui constitue un lien puissant entre les personnes, accroit ce sentiment. Les managers peuvent avoir face à eux des collaborateurs qu’il leur faut parfois ‘gérer’. Ce peut-être des attitudes trop individualistes, des personnalités franchement difficiles. Ou encore à l’extrême, un collectif soudé faisant bloc contre le management.

Face à cela, l’équipe du manager, l’équipe de direction, apparait comme un lieu refuge. Elle lui donne un espace d’échanges avec d’autres membres de la communauté managériale. En se regroupant, les managers se sentent plus forts et font contrepoids. Cette instance reconnait ainsi des membres qui ont la même signature identitaire d’encadrement. Elle constitue un lieu de cohésion des actions et de discussion. A ce titre, l’équipe de direction peut apparaitre comme un espace sécurisant pour le manager, mais pas forcément. Car ne nous leurrons pas. Il ne s’agit pas d’une équipe de pairs où les membres sont sur un pied d’égalité. Les fonctions y sont souvent hétérogènes et hiérarchiques entre elles. La parole n’y circule généralement pas librement. L’expression est généralement circonscrite dans un espace très précis et codifié. Celui des éléments de langage qu’il convient, en tant que manager, de respecter absolument.

Un point partout, le travail au centre

Alors comment tenir cet équilibre pour éviter d’entrer dans cette logique de ‘camps’ ?

Les choix d’organisation de l’entreprise sont tracés par son histoire, ses acteurs, ses difficultés et ses projets. Un mode d’organisation plus coopératif demande à réinterroger la place et le rôle de chaque acteur. Les frontières entre décisionnaires et exécutants deviennent alors plus floues. La question du rôle de la fonction d’interface entre équipe et direction devient centrale,Si l’organisation ouvre aux collaborateurs certaines activités autrefois uniquement dévolues aux managers d’équipe, qu’en est-il de leur opérationnalité ? Ceci implique-t-il une réciprocité des managers vers les activités productives ? Il convient là encore d’interroger la singularité de l’organisation de travail. Explorer les difficultés, identifier celles que l’on voudrait dépasser. Prendre en compte aussi l’inévitable déstabilisation du rôle du manager. Que peut-il attendre professionnellement d’une configuration plus ouverte ? Il s’agit alors pour l’entreprise de construire sa vision d’avenir en mettant au centre le travail lui-même et les valeurs communes qu’elle veut porter.

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