Le manager à la confluence de nombreuses sollicitations…

La fonction de manager d’équipe peut porter de réelles valeurs ambitieuses, si le terrain de l’entreprise le lui permet. Mais les nombreuses activités qui incombent à ces professionnels donnent parfois, par un effet d’empilement, une impression de fonction ‘fourre-tout’ qui peut paradoxalement les écarter de leur mission. Elles s’accompagnent aussi souvent d’une remise en cause de la posture professionnelle du manager. Or, certaines de ces attentes, tant de la hiérarchie que des subordonnés, relèvent-elles bien de compétences que l’on peut acquérir ou développer ?

Des attentes parfois démesurées

Lorsque le directeur de Delphine, manager d’équipe de trente-cinq ans, lui dit qu’il attend d’elle qu’elle éveille les consciences de ses collaborateurs, elle reste sans voix. Elle perd un bref instant le contrôle de son regard et ses yeux se promènent au ciel, cherchant quoi répondre, mais aucune idée ne traverse son esprit. Elle espère que ce moment d’éternité qu’elle vient de traverser ne s’est pas trop remarqué. Hé bien non, son directeur n’a rien vu, sauvée ! La conversation peut continuer sur un ton cordial, comme si l’éveil de conscience était un basique des compétences managériales d’une évidence déconcertante. Delphine ne comprend pas trop ce que cela veut dire et surtout comment le décliner en actes opérationnels mais il lui semble de meilleur ton à ce moment d’acquiescer.

Manager d’équipe, une fonction en prise avec les enjeux sociétaux

Les Managers d’équipe exercent une fonction à la croisée des chemins. Ils sont garants de la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise sur le terrain. Relais entre les collaborateurs et la direction, ils sont responsables, au moins partiellement, de la bonne atteinte des objectifs. De forts enjeux convergent vers ces professionnels sous le terme générique de ‘performance’. Résultats productifs bien sûr. Mais aussi de manière croissante, résultats ‘relationnels’ au niveau des collaborateurs dont ils ont la charge.

Il faut dire que depuis l’avènement des contremaîtres, la société a bien changé. L’économie ouverte sur le monde impose aux entreprises une souplesse grandissante. Elles doivent jouer la carte de l’adaptabilité et de l’anticipation. Mais en même temps et à contre-courant, le rapport des personnes au travail a lui aussi profondément évolué. Les actifs réfléchissent à deux fois avant de s’engager dans un contrat. Ils ne cherchent plus du travail à n’importe quel prix. De nombreux éléments entrent dans la balance vie professionnelle/vie personnelle. Ces critères risquent fort, s’ils ne sont pas pris en compte, d’entrainer à terme de l’instabilité dans les ressources humaines de l’entreprise. Absences, démissions, problématiques de recrutement, manque de motivation, difficultés d’adaptation aux contraintes, défauts de qualification et de compétences, conflits internes…

Manager d’équipe, l’expression d’une insuffisance

C’est peut-être ici, dans ce mouvement des contraires, que se joue le destin de nos managers d’équipes. Connait-on beaucoup de professions qui fassent l’objet d’autant de projections idéalisées ? Les attentes fusent de partout dans l’entreprise, lors des réunions, des entretiens, qui sonnent comme autant d’espoirs inassouvis. Même à l’extérieur, les magazines interpellent régulièrement les managers : « Devenez un manager agile !», « Développez vos super-pouvoirs ! » Les secrets pour motiver votre équipe !». La fonction est affublée de qualités et d’attendus souvent disproportionnés, qui mènent à une confusion sur l’appréhension concrète du rôle et des compétences recherchées.

La phrase est le plus souvent assénée par des hiérarchiques, mais aussi par les subordonnés avec d’autres mots. Elle commence généralement par : « Un (vrai) manager fait (ceci cela…) ». Les managers ont l’habitude de subir, souvent sans mot dire, ces assauts langagiers, qui ne sont pourtant pas forcément malintentionnés. L’approche peut être bienveillante, une remarque, un conseil. Elle peut être agressive, une critique, des reproches. Ou encore pédagogique, un développement de compétences. Quelle que soit la forme, il y a toujours un jugement de valeur de l’ordre d’un ‘peut mieux faire’. Même si la formulation n’est pas directe, elle porte le message sous-jacent d’une insuffisance.

Comment les managers peuvent-ils réagir face à ce genre de remarque ? Selon leur sensibilité et la manière dont elle leur est présentée, certains essaieront de se justifier ; d’autres d’éluder, de dédramatiser ou d’acquiescer ; d’autres encore, plus rarement, de contre-attaquer. Dans tous les cas, le manager est mis en défaut de ne pas être à la hauteur de la fonction. Il ne fait pas ce qu’il est censé faire. Il ne correspond pas à cette image allégorique d’un être doté de tant de qualités intrinsèques qu’il ne peut décemment exister.

Former les managers d’équipe, oui mais sur quoi au juste ?

Le champ de la formation professionnelle se trouve fortement sollicité pour répondre à l’expression de ces besoins multiples. Et c’est ici qu’ils se révèlent particulièrement, dérivant fréquemment vers d’autres métiers et champs de compétences. On décèle en effet comme un besoin d’identifier les managers de proximité à d’autres professions qui parlent à tous :

  • Le manager est-il vu comme un meneur d’hommes ? Aussitôt, on plaque sur lui une image militaire, le chef entrainant ses équipes d’un même élan vers une victoire assurée. C’est le « Leadership du nouveau manager ». Il va apprendre à être crédible, légitime et exemplaire, à s’affirmer et exercer son autorité, exploiter ses qualités de leader…
  • Le manager est-il vu comme un développeur de talents ? Le voilà éducateur, enseignant, psychologue. C’est le « Manager coach ».  Il apprend à adopter un management bienveillant, développer écoute et empathie, aider les collaborateurs à vaincre le stress, identifier les talents… 
  • Le manager est-il d’abord attendu sur les performances de son équipe ? et aussitôt le voilà homme d’affaires, commercial, ou bien comptable, gestionnaire…
  • Le manager est-il vu comme un donneur de sens ? Il devient éclaireur, guide, voire même être spirituel cherchant à éveiller les consciences. On va lui apprendre à communiquer une vision, à expliquer le sens du travail à chaque membre de son équipe…

Alors bien sûr, les formations apportent souvent une respiration aux managers. Elles leurs proposent des outils utiles et un temps de réflexion appréciable. Mais elles font apparaitre en même temps dans leur ensemble un certain état de confusion. Y aurait-il une difficulté intrinsèque à donner son identité propre à cette fonction, à définir sa juste posture au sein de l’entreprise ? Le management d’équipes n’est pourtant pas récent. Mais il subit de profondes transformations, notamment dans les entreprises en phase de transition vers des organisations plus participatives.

Analyser l’organisation de travail

Mais lorsque l’on essaie de comprendre et de faire évoluer une situation de travail, est-il juste de tout rapporter aux individus eux-mêmes ? De focaliser sur leur posture, leur personnalité, qu’ils soient managers ou subordonnés ? Au-delà de l’image idéale du manager, de l’individu et de ses inévitables failles, ne faudrait-il pas plutôt chercher dans l’organisation-même du travail ? N’y aurait-il pas lieu de s’attarder sur le contexte de travail, l’environnement dans lequel les professionnels évoluent ? Quelles difficultés l’entreprise rencontre-t-elle ? Pour quelles raisons le personnel par exemple, n’est-il pas au rendez-vous de l’implication ? En dehors des personnalités ou des manières de travailler de chacun, n’y aurait-il pas, dans le travail, des éléments déclencheurs de problèmes ou de conflits ?

Nous voyons se dessiner l’utilité d’un travail d’analyse de la situation propre à l’entreprise dans sa globalité. Il permettra d’élargir la réflexion jusque-là focalisée sur quelques seules personnes et n’offrant qu’une interprétation incomplète et le plus souvent largement erronée de la problématique rencontrée.

Des risques psycho-sociaux aussi pour les managers d’équipe

Que peut ressentir un manager d’équipe à qui son directeur a proposé la formation « Pratiquer le management du succès » ? Peut-être un challenge, un intérêt, une opportunité de prendre du recul. L’occasion aussi de répondre à un réel besoin ressenti de développer ses compétences. Mais peut-être aussi, s’il le lit en ‘creux’, une lassitude, un sentiment d’échec ou d’injustice face aux efforts soutenus déployés et au final si peu reconnus.

Car les managers répondent en général présents à ce qu’on attend d’eux. Ils montrent une implication personnelle souvent bien au-delà des termes de leur contrat de travail. En plus, ironiquement, ils sont généralement impliqués dans la prévention des risques psycho-sociaux pour les membres de leur équipe. Mais l’entreprise, toute centrée qu’elle est sur les collaborateurs, oublie généralement de les intégrer en tant que sujets eux-aussi de ces mêmes risques.

Le risque de surcharge

La santé au travail des managers est en effet menacée au même titre que celle de tout autre acteur de l’entreprise. Les attentes excessives font notamment peser sur eux le risque de surcharge physique et psychologique. Celle-ci a des impacts non négligeables sur la santé physique et mentale. Les symptômes vont de la simple fatigue aux graves situations de burnout, bien connues maintenant. Ces décompensations signent l’échec de l’entreprise qui n’a pourtant aucun intérêt à voir quiconque de ses collaborateurs en arriver là.

Pourtant, de nombreux encadrants vivent ces situations de surcharge sans oser, ni même penser les remettre en cause. L’hyperactivité au travail est plutôt favorablement accueillie. Il est considéré comme normal que les managers ne comptent pas leurs heures. Mais rappelons ici qu’il n’est pas normal de s’épuiser au travail. La fatigue mène plus souvent vers un vécu de souffrance délétère que d’épanouissement individuel. D’autant plus si les activités se succèdent sans aboutissement et peinent à prendre du sens pour ceux qui les réalisent, ce qui alimente la charge mentale.

Redonner un sens raisonnable à la fonction de Manager d’équipe

Les entreprises ont ainsi tout intérêt à mener une réflexion sur la place et la fonction de leurs managers de proximité ; à délimiter leur mission de manière concrète, claire et cohérente dans une vision d‘ensemble de l’organisation de l’entreprise. Une telle démarche permet aussi de prévenir les risques psycho-sociaux liés à la surcharge de travail. En préservant ses précieux rouages humains, l’entreprise permet à ses acteurs d’œuvrer dans la durée sans s‘épuiser.

Les managers savent bien que, même s’ils sont appelés sur tous les fronts, ils ne sont pas des héros. Ou alors ils font partie de ces héros simples du quotidien qui font le plus souvent de leur mieux. Il faudra attendre les managers du futur, certainement non humains s’ils sont capables d’endosser tous ces rôles à la fois. Pour le moment, il convient de redonner un sens raisonnable à la fonction de manager d’équipe, dans une approche plus simple et pragmatique, au plus près possible des réalités du travail.

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